Chamsin – Analyses Politiques

Réactions des Iraniens au conflit Iran–Israël (depuis le 13 juin 2025)

Opinion publique générale en Iran

La majorité des Iraniens ont perçu les frappes israéliennes comme une agression extérieure, renforçant le sentiment national plutôt que de diviser la société. Selon des analystes, elles ont ravivé « un sentiment partagé d’identité nationale » au-delà des clivages politiques. Beaucoup ont exprimé leur colère face à ce qu’ils considèrent comme une atteinte à la souveraineté du pays.

Un éditorial du Tehran Times note ainsi que l’opération israélienne a eu l’effet inverse de celui recherché par ses instigateurs : au lieu de susciter des dissidences, elle a déclenché un « ralliement autour du drapeau ».

Dans ce climat, les commémorations nationales et les services religieux ont rassemblé un large public, marquant une union temporaire pour « défendre l’Iran contre l’ennemi commun ».

Femmes et mouvements sociaux

Les militantes iraniennes restent principalement tournées vers la protection des populations civiles. Les figures du mouvement « Femme, Vie, Liberté » ont fait preuve de retenue : elles refusent d’identifier leur lutte interne à cette intervention extérieure.

Par exemple, l’activiste des droits humains Atena Daemi a souligné que, dans ces circonstances, « les gens sont uniquement concentrés à sauver [leurs vies], leurs familles, leurs compatriotes » plutôt que d’organiser des manifestations.

De son côté, la lauréate du prix Nobel Narges Mohammadi a lancé publiquement : « Ne détruisez pas ma ville ! » Dans l’ensemble, ces militantes sont favorables à un Iran plus libre, mais refusent de soutenir directement une attaque étrangère. Un article d’analyse note qu’au lieu de réclamer des réformes politiques, leur priorité a momentanément basculé vers la « défense nationale » et la solidarité envers les victimes iraniennes.

Jeunes et étudiants

Au sein de la jeunesse iranienne, les premières réactions ont souvent été marquées par la peur et le repli. De nombreux étudiants interrogés ont dit qu’ils se focalisaient avant tout sur la survie.

Une étudiante de l’université de Shiraz a expliqué : « Après les frappes, nous élèverons nos voix parce que ce régime est responsable » de la situation, indiquant qu’elle envisagerait d’agir une fois la crise passée.
Une autre jeune femme, militante ayant déjà été emprisonnée en 2022, a dit croire en un changement du régime mais considérer « que ce n’était pas le moment de descendre dans la rue ».

Ces témoignages suggèrent qu’une partie de la jeunesse continue d’être critique envers les dirigeants actuels, mais qu’elle reporte toute mobilisation populaire jusqu’à la fin des hostilités, invoquant la priorité à la sécurité personnelle et nationale.

Conservateurs et institutions du régime

Les conservateurs et milieux proches du pouvoir affichent quant à eux une position de fermeté totale. Les autorités militaires ont placé leurs forces en état d’alerte : un membre du Bassij (milice paramilitaire) a déclaré que son unité était mobilisée pour « débusquer les espions israéliens » et protéger la République islamique.

Les médias officiels ont relayé des slogans martiaux, annonçant que la riposte iranienne était en marche. Des personnalités patriotiques très populaires ont également appelé à l’unité défensive. L’ex-footballeur Ali Daei, longtemps critique du régime, a par exemple proclamé sur les réseaux sociaux préférer « mourir plutôt que d’être un traître », rejetant toute collaboration avec l’agresseur étranger.

L’idéologie dominante du camp conservateur consiste à insister sur la résistance face à l’ennemi et la nécessité de soutenir l’armée et le Corps des Gardiens de la Révolution.

Minorités ethniques et religieuses

Le conflit a des échos différents selon les minorités. Dans les régions kurdes et baloutches, certaines factions armées ont vu dans la crise une opportunité pour augmenter la pression contre Téhéran. Les analystes étrangers notent par exemple que des groupes séparatistes kurdes ou baloutches semblent prêts à tirer parti de la situation pour se soulever.

Dans la population civile des minorités, aucune mobilisation publique majeure n’a été signalée dans l’immédiat. Du côté des minorités religieuses (sunnites, chrétiens, baha’ís, etc.), victimes historiques de la répression, les réactions restent discrètes : n’ayant guère de voix officielles autorisées, leurs souhaits de voir disparaître le régime n’ont pu s’exprimer que par le biais d’organisations ou de discours d’exilés.

Par exemple, dans la diaspora iranienne, des membres de la communauté juive expriment ouvertement leurs espoirs d’un nouveau régime plus tolérant. L’avocat iranien-américain Farhad Novian (hébraïsant en exil) a admis avoir « des sentiments mitigés », tout en estimant que l’action actuelle était une chance historique pour « achever le travail » et libérer l’Iran du régime au pouvoir.
Sam Yebri, 65 ans, Juif iranien réfugié en Californie, a résumé la position de nombreux exilés : « Aucun Iranien d’Amérique ne veut voir des Iraniens pris au milieu d’une guerre, mais rien n’est pire que ce qu’est ce régime et ce qu’il a fait ».

Ces propos illustrent que les partisans de la réforme ou du renversement du régime, y compris parmi les minorités persécutées, n’approuvent pas forcément les frappes extérieures contre l’Iran et font d’abord passer la sécurité du peuple iranien avant tout.

Perception dans la diaspora iranienne

La diaspora iranienne – forte de plusieurs millions de personnes surtout en Amérique du Nord et en Europe – vit également le conflit de manière très contrastée. Dans l’ensemble, les exilés partagent un mélange d’angoisse pour leurs proches en Iran et d’espoir d’un changement politique.

Aux États-Unis, la communauté perse (notamment à Los Angeles) est profondément divisée : beaucoup d’immigrés persécutés par le régime voient dans la campagne militaire une occasion de « renverser le leadership iranien » honni, tandis que d’autres sont avant tout « anxieux pour la population innocente » restée sur place.

Par exemple, l’actrice Nazanin Nour, militante anticohorte, déclare vouloir la liberté pour le peuple iranien, mais « surtout, je veux que ma famille, mes amis et le peuple d’Iran soient en sécurité ».
De même, Sam Yebri (déjà cité plus haut) concilie son hostilité envers le régime avec la crainte de voir sa communauté happée par le conflit.

En Europe, on retrouve des sentiments analogues. Un reportage d’Asharq Al-Awsat relève que de nombreux Iraniens exilés en Europe sont « déchirés » entre « l’espoir de changement et l’horreur de la situation actuelle ».

À Londres, la psychologue de 35 ans Maryam Tavakol soutient pleinement les frappes israéliennes, estimant qu’elles visent « le gouvernement, connu pour ses méthodes brutales » et qu’« il n’y a pas de liberté en Iran, pas de droits humains… Nous soutenons chaque acte qui affaiblit la République ».
En revanche, d’autres exilés londoniens, comme Ali (49 ans, restaurateur), se déclarent opposés à toute guerre : Ali confie ne pas soutenir « ceux qui blessent des enfants et des gens », même s’il déteste le régime iranien.
Selon l’acteur Hamidreza Javdan (71 ans, réfugié à Paris), la diaspora européenne est « divisée » : certains se refusent catégoriquement à ce qu’« on attaque notre pays », tandis que d’autres pensent au contraire que c’est une « bonne chose » si cela affaiblit le gouvernement en place.

Au total, la diaspora iranienne présente un éventail de positions reflétant ses multiples sensibilités : la peur pour les proches en Iran, la désillusion envers le régime islamique et parfois le désir de voir changer le gouvernement iranien s’entremêlent selon les individus. Les études de terrain et les reportages soulignent que ce ne sont ni les conservateurs ni les réformistes à l’intérieur du pays qui dominent cette opinion, mais plutôt un morcellement d’avis selon l’histoire personnelle (droits refoulés en Iran, expériences d’exil, appartenance ethnique ou religieuse, etc.).


Sources