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crédit de l’image : UNSPLASH
Réforme fiscale à Mascate : comment Oman inaugure l’impôt sur le revenu dans le Golfe
par Lazare Filmont, étudiant au département de science politique de l’University College London (UCL), publié le 22 octobre 2025

Le 22 juin 2025, le sultanat d’Oman a promulgué un décret royal instaurant, pour la première fois dans le Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCG), un impôt sur le revenu des personnes physiques. À partir du 1er janvier 2028, un prélèvement de 5 % s’appliquera aux individus dont les revenus annuels dépassent 42 000 rials omanais (environ 94 000 €), soit le top 1 % des revenus. Cette réforme s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale Vision Oman 2040, visant à réduire la dépendance aux hydrocarbures et à diversifier les recettes publiques face à un contexte énergétique incertain.

Pour contextualiser …

Oman est un petit producteur de pétrole et de gaz mais un des rares États du Golfe à faire face à une dépendance structurelle très forte : les hydrocarbures représentent jusqu’à « 85 % des recettes de l’État », selon l’Agence AP. Confronté à une volatilité des prix des matières premières et à l’urgence de bâtir un modèle plus durable, Mascate a lancé Vision 2040 en tant que feuille de route macro-économique. La théorie de la « diversification économique » , bien connue en sciences économiques, stipule que les États fortement dépendants d’une rente (ici les hydrocarbures) sont vulnérables aux chocs externes (prix, innovations technologiques, transition énergétique). En introduisant un impôt sur le revenu, Oman applique un instrument traditionnel des économies diversifiées (mobilisation fiscale) pour renforcer sa résilience budgétaire.

Le texte prévoit l’imposition à 5 % des revenus annuels supérieurs à 42 000 rials omanais (environ 94 000 €) à compter du 1er janvier 2028. Le gouvernement affirme qu’environ 99 % de la population ne sera pas concernée. Il est prévu d’introduire un système électronique de conformité fiscale et des déductions liées aux dépenses de logement, santé, éducation et dons caritatifs. Cette réforme est présentée comme « le premier impôt sur le revenu dans le Golfe » . Elle s’inscrit dans un programme plus large de réforme fiscale, avec pour objectif d’accroître la part des revenus non-pétroliers dans le PIB à 15 % d’ici 2030 et 18 % d’ici 2040.

Oui mais alors pourquoi maintenant ?

Trois facteurs se conjuguent : la pression sur la rente hydrocarbure (innovation, pressions climatiques, transition énergétique), la nécessité de stabiliser les finances publiques (endettement, déficit budgétaire) et le besoin de crédibilité aux yeux des investisseurs internationaux. Le sultanat, selon ses propres termes, souhaite « réduire la dépendance aux hydrocarbures et diversifier ses sources de financement » . Sur le plan théorique, on y retrouve les mécanismes de la « political economy of taxation » : imposer les plus hauts revenus, utiliser la fiscalité pour renforcer le contrat social et affirmer un État responsable.

Certains analystes voient cette mesure comme une avancée bienvenue. Le journal Le Monde note que « 99 % de la population échappera à ce prélèvement » , mais que cette réforme pourrait devenir un modèle pour d’autres monarchies pétrolières. Cependant, des points de fragilité subsistent. D’abord, l’assiette reste très étroite (top 1 %). Certains observateurs comme le Financial Times s’interrogent : « quel sera l’impact réel sur les recettes publiques ? ». Ensuite, il faudra veiller à ce que l’instauration d’un impôt ne décourage pas les investissements ou ne stimule un exil fiscal des hauts revenus. Enfin, le succès dépend de l’application effective (infrastructure de gestion fiscale, lutte contre l’évasion), un défi non trivial dans la région.

Que peut-on alors espérer de cette réforme?

  1. Un scénario optimiste : la réforme fonctionne comme catalyseur, d’autres mesures fiscales suivent (taxe sur la fortune, capital, etc.), la diversification s’accélère, l’économie non-pétrolière devient moteur de croissance.
  2. Un scénario intermédiaire : l’impôt existe mais reste marginal, les revenus restent majoritairement issus des hydrocarbures et les recettes supplémentaires limitées, freinant la dynamique de transformation.
  3. Un scénario plus pessimiste : la mesure provoque un déplacement d’actifs ou une perte compétitive par rapport à d’autres États du Golfe, et la réforme fiscale reste un symbole plus qu’un levier réel.

La variable clé restera la part des recettes non-hydrocarbures dans le budget de l’État et la capacité du gouvernement à traduire la diversification en emplois, investissements et croissance. Vision 2040 fixe des jalons clairs : par exemple réduire la part des hydrocarbures dans le PIB à 8,4 % en 2040.

Ainsi, Oman tourne une page : l’introduction d’un impôt sur le revenu à Mascate n’est pas qu’un prélèvement de 5 %, c’est un signal fort dans une région où la fiscalité directe est quasi-inexistante. Son succès dépendra de la mise en œuvre et de la capacité à l’inscrire dans une transformation économique plus large. Pour les lecteurs, le cas omanais constitue une expérience pilote de réforme fiscale dans le Golfe.

Sources