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Manifestation à Téhéran, 1979
Manifestation à Téhéran, février 1979 : la foule en liesse accueille le retour de Khomeini et la chute du régime du Shah.

Révolution islamique : comprendre l’événement, la littérature et la question des minorités

par Chamsin, publié le 7 juillet 2025

La Révolution islamique de 1979 en Iran s’impose comme l’un des événements les plus marquants du XXe siècle, bouleversant non seulement l’ordre interne du pays mais aussi l’équilibre géopolitique du Moyen-Orient et au-delà. Pour saisir la portée de cette révolution, il faut en comprendre le déroulement, les ressorts profonds, les acteurs majeurs, ainsi que ses conséquences sur la société iranienne, notamment sur la littérature et les minorités religieuses, dont le statut et la reconnaissance ont été redéfinis dans le nouvel ordre instauré par l’ayatollah Khomeini.

L’Iran avant 1979 : modernisation et tensions

Avant la révolution, l’Iran est dirigé par la dynastie Pahlavi depuis 1925, avec à sa tête Mohammad Reza Chah Pahlavi à partir de 1941. Le Shah poursuit une modernisation accélérée à travers la « révolution blanche », vaste programme de réformes économiques et sociales inspiré du modèle occidental. Cette transformation, si elle profite à une élite urbaine, accentue les inégalités et marginalise les populations rurales, heurtant de plein fouet les valeurs traditionnelles et religieuses de la société.

Sur le plan politique, le régime du Shah est marqué par l’autoritarisme, la corruption et la répression, incarnée par la redoutée SAVAK. L’opposition se structure autour de trois pôles : intellectuels laïques et libéraux, mouvements de gauche nationalistes et tiers-mondistes, et surtout le clergé chiite, fort d’une influence politique croissante depuis la révolte du tabac de 1891. Dans les années 1970, la contestation s’intensifie alors que le Shah, allié des États-Unis, est perçu comme le « gendarme du Golfe » face à l’URSS.

1978-1979 : la révolution populaire

L’année 1978 marque un tournant : des manifestations massives éclatent, d’abord contre la répression et la crise économique, puis sous l’impulsion religieuse de l’ayatollah Rouhollah Khomeini, exilé à Najaf puis en France. Ses discours, diffusés clandestinement, galvanisent les foules et fédèrent une opposition hétéroclite contre le Shah et l’influence occidentale. Les concessions du Shah arrivent trop tard : il quitte l’Iran le 16 janvier 1979, abandonné par ses alliés et par l’armée, qui déclare sa neutralité le 11 février.

Le retour triomphal de Khomeini à Téhéran le 1er février 1979 marque la fin du régime monarchique. En quelques semaines, la République islamique est proclamée à l’issue d’un référendum, consacrant la victoire du mouvement islamiste sur les autres forces révolutionnaires, rapidement marginalisées ou éliminées. Khomeini instaure un système théocratique inédit, fondé sur le « velayat-e faqih » (gouvernement du juriste-théologien), où le Guide suprême détient l’autorité ultime sur l’État.

Bouleversement géopolitique et guerre

Ce bouleversement institutionnel s’accompagne d’une rupture avec les États-Unis, notamment après la prise d’otages de l’ambassade américaine en novembre 1979, événement qui scelle l’hostilité entre les deux pays et isole l’Iran. Le régime de Khomeini se pose en champion de la justice sociale et du refus de l’impérialisme, appelant à une révolution islamique mondiale. Ce message inquiète les régimes voisins : l’Irak de Saddam Hussein attaque l’Iran en 1980, déclenchant une guerre meurtrière de huit ans.

Littérature et censure : la révolution dans les mots

Sur le plan intérieur, la révolution bouleverse la société iranienne. L’islamisation de la législation, de la vie publique et de l’éducation s’accompagne d’un contrôle étroit de la littérature. La censure, déjà présente sous le Shah, devient systématique et idéologique : tout texte jugé contraire aux valeurs islamiques ou à la morale révolutionnaire est interdit. Les écrivains, poètes et intellectuels doivent composer avec des lignes rouges mouvantes, qui brident la créativité et favorisent l’autocensure. Beaucoup choisissent l’exil, d’autres voient leurs œuvres interdites ou publiées clandestinement. La littérature persane, riche d’une tradition millénaire, se réinvente dans l’ombre, oscillant entre allégorie, critique voilée et célébration du martyre révolutionnaire.

Minorités religieuses : reconnaissance et discriminations

La Constitution de 1979 consacre l’islam chiite duodécimain comme religion officielle (Article 12) : « La religion officielle de l’Iran est l’islam et l’école duodécimaine Ja’farî… ». L’article 13 reconnaît trois minorités : chrétiens, juifs et zoroastriens, qualifiés de « gens du Livre », avec sièges réservés au Parlement. En 2004, on estimait ces minorités à environ 100 000 chrétiens, 60 000 zoroastriens et 25 000 juifs sur 70 millions d’habitants.

Cependant, cette reconnaissance s’accompagne de restrictions : exclusion de certains postes publics, discriminations à l’éducation et à l’emploi, prosélytisme strictement encadré. La conversion d’un musulman à une autre religion est considérée comme de l’apostasie, passible de mort. Les chrétiens reconnus sont essentiellement arméniens et assyriens ; les convertis sont exposés à la persécution. Les bahaïs, exclus de toute reconnaissance, subissent une persécution systématique : lieux de culte détruits, leaders emprisonnés, interdiction d’enseignement supérieur et d’emplois publics. Les musulmans sunnites (9 à 15 % de la population) ne sont pas reconnus comme minorité, bien qu’ils soient majoritaires dans certaines régions. Ils sont marginalisés, privés d’emplois publics et interdits de mosquées dans les grandes villes.

Les Kurdes, Baloutches, Turkmènes et Arabes, souvent sunnites, subissent une double marginalisation, comme ethnies non persanes et comme communautés religieuses non chiites. Les mouvements autonomistes ou séparatistes, apparus après la révolution, sont rapidement réprimés pour préserver l’unité nationale et la domination du chiisme duodécimain.

Acteurs et héritage

Les acteurs de la révolution sont multiples : le clergé chiite, emmené par Khomeini, s’impose comme vainqueur, mais doit composer avec une coalition hétéroclite de nationalistes, libéraux, marxistes et islamistes radicaux. Les organisations de gauche, comme les Moudjahidines du peuple (OMPI) ou les Fedayin du peuple, participent à la chute du Shah mais sont rapidement écartées ou éliminées. Les Gardiens de la révolution (Pasdaran) deviennent le bras armé du pouvoir islamique. Les intellectuels et artistes, espérant une ouverture démocratique, se retrouvent confrontés à un nouvel autoritarisme, au nom de l’islam révolutionnaire.

La Révolution islamique de 1979 a redéfini les contours de la société iranienne, imposant une vision théocratique et exclusive de l’identité nationale, où la littérature, autrefois espace de liberté et de résistance, doit désormais composer avec la censure et l’orthodoxie religieuse. Les minorités religieuses, reconnues ou non, vivent dans un équilibre précaire, oscillant entre tolérance officielle et exclusion de fait, tandis que les tensions ethniques et confessionnelles restent vives. L’héritage de la révolution se mesure à l’aune de ses contradictions : promesse d’émancipation pour certains, synonyme d’oppression pour d’autres, elle demeure une source inépuisable d’inspiration et de questionnement pour les écrivains iraniens, qui, dans l’ombre ou l’exil, continuent de tisser, mot à mot, les fils d’une mémoire blessée mais indomptable, à l’image de la Perse éternelle où, selon le poète Hafez, « la vérité, même voilée, finit toujours par percer la nuit la plus noire ».

Sources