
Le gouvernement iranien peut-il chuter ? Peut-on espérer une nouvelle révolution ?
Dans les couloirs du pouvoir à Téhéran, l'année 2025 résonne comme un écho sinistre des dernières heures de l'Union soviétique. La République islamique d'Iran traverse aujourd'hui la crise la plus profonde de ses quarante-six années d'existence, confrontée à une convergence de défis internes et externes qui interrogent sa capacité même à survivre. Entre effondrement économique, soulèvements sociaux persistants et isolement géopolitique croissant, le régime des mollahs vacille sur ses fondements.
L'Iran de 2025 présente tous les symptômes d'un État en déliquescence. L'inflation atteint 37,1% en mars 2025, tandis que la monnaie nationale s'effondre à un niveau historique de 1 000 000 rials pour un dollar américain. Cette hémorragie économique n'est pas qu'une statistique abstraite, elle traduit une réalité sociale dramatique où 57% des Iraniens souffrent de malnutrition selon le ministère du bien-être social. Plus révélateur encore, 50% des hommes âgés de 25 à 40 ans sont au chômage et ne cherchent même plus d'emploi, symptôme d'une désespérance collective qui mine les fondations du contrat social.
Cette crise multiforme trouve ses racines dans les contradictions structurelles d'un système théocratique incapable de se réformer. Le régime iranien repose sur un équilibre précaire entre légitimité révolutionnaire et pragmatisme économique, entre ouverture internationale et résistance idéologique. Cet équilibre se fracture aujourd'hui sous le poids des sanctions américaines réimposées par Donald Trump, des frappes israéliennes contre les installations nucléaires et de la désintégration progressive de l'axe de résistance régional.
L'économie iranienne, baromètre de l'instabilité politique
L'effondrement économique constitue le talon d'Achille du régime iranien. Depuis le retour de Trump à la Maison Blanche en janvier 2025, la politique de « pression maximale » a été réactivée avec une intensité renouvelée, ciblant particulièrement les exportations pétrolières qui représentent la principale source de revenus de l'État. Cet étranglement économique se manifeste par une chute libre du rial, passé de 600 000 rials pour un dollar en mars 2024 à plus d'un million en mars 2025.
L'impact social de cette dégringolade monétaire dépasse les simples indicateurs macroéconomiques. Les classes moyennes, traditionnellement garantes de la stabilité politique, subissent de plein fouet cette érosion du pouvoir d'achat. Mohammad Reza Farzanegan, expert économique à l'Université de Marbourg (Allemagne), souligne que l'affaiblissement de la classe moyenne iranienne compromet paradoxalement les objectifs même des sanctions internationales en réduisant l'engagement politique de cette catégorie sociale.
Le chômage des jeunes atteint des proportions alarmantes, particulièrement chez les femmes où le taux de sans-emploi dans la tranche d'âge 20-24 ans culmine à 34,9%. Cette génération, née après la révolution islamique et largement déconnectée de ses idéaux fondateurs, constitue un réservoir de mécontentement que le régime peine à contenir. L'exode des cerveaux s'accélère parallèlement, privant le pays de ses forces vives et accentuant la spirale de déclin.
Les acteurs du changement : entre opposition fragmentée et résistance civile
L'opposition iranienne présente un visage complexe et fragmenté qui reflète la diversité ethnique, religieuse et politique du pays. Contrairement aux révolutions classiques dirigées par des avant-gardes organisées, le mouvement contestataire iranien actuel se caractérise par sa nature décentralisée et son ancrage social profond.
Reza Pahlavi, fils du dernier Shah, incarne la nostalgie monarchiste d'une partie de la diaspora iranienne, mais son influence réelle à l'intérieur du pays reste incertaine. La plupart des Iraniens n'ont pas connu l'ère prérévolutionnaire et le pays a profondément changé depuis 1979. L'Organisation des Moudjahidines du Peuple (MEK), dirigée par Maryam Rajavi à travers le Conseil National de Résistance de l'Iran, souffre quant à elle du lourd passif de sa collaboration avec l'Irak de Saddam Hussein durant la guerre Iran-Irak.
Plus significatif encore apparaît le mouvement "Femme, Vie, Liberté" né de la mort de Mahsa Amini en septembre 2022. Ce soulèvement, qui a mobilisé des millions d'Iraniens dans 160 villes, transcende les clivages traditionnels de l'opposition en unissant femmes et hommes, Perses et minorités ethniques, classes populaires et élites urbaines. Bien que réprimé dans le sang avec plus de 551 morts et 19 262 arrestations, ce mouvement a instauré une forme de résistance civile permanente symbolisée par le refus croissant du port du hijab obligatoire.
Les minorités ethniques, représentant près de 40% de la population iranienne, constituent un autre foyer de contestation. Kurdes, Baloutches et Arabes subissent une discrimination systémique qui s'est aggravée depuis 2022, ces communautés payant le plus lourd tribut à la répression gouvernementale. La mort de Mahsa Amini, jeune femme kurde, a cristallisé ces griefs en transformant une revendication ethnique en mouvement national.
Le régime face à la crise de succession
Au cœur de l'instabilité politique iranienne se profile la question de la succession du Guide suprême Ali Khamenei. Âgé de 86 ans et en déclin de santé, Khamenei n'a pas encore désigné officiellement son successeur, créant une incertitude institutionnelle majeure. Les spéculations sur son état de santé se multiplient, d'autant qu'il n'est pas apparu publiquement depuis 25 jours selon certaines sources.
Deux candidats principaux émergent pour la succession : Mojtaba Khamenei, fils du Guide suprême, et Hassan Khomeini, petit-fils du fondateur de la République islamique. Le premier incarnerait la continuité de la ligne dure, tandis que le second pourrait représenter une ouverture relative vers les réformateurs. Cette compétition révèle les fractures internes du régime entre conservateurs, ultra-conservateurs et réformateurs, chaque faction cherchant à positionner son candidat.
Le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), véritable pilier du régime avec ses 125 000 hommes et son empire économique contrôlant 50% des richesses pétrolières du pays, joue un rôle central dans cette équation. Cette organisation, qui répond directement au Guide suprême, constitue à la fois le garant de la stabilité du régime et un acteur autonome capable d'influencer la transition.
L'isolement géopolitique et l'affaiblissement régional
La dimension géopolitique de la crise iranienne ne peut être sous-estimée. L'Iran de 2025 fait face à un isolement international croissant, aggravé par l'effondrement de son influence régionale. La chute de Bachar al-Assad en Syrie en décembre 2024 a privé Téhéran de son principal allié régional et coupé la ligne d'approvisionnement vers le Hezbollah libanais.
L'axe de résistance, pierre angulaire de la stratégie iranienne de projection de puissance, se délite progressivement. Le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban ont été considérablement affaiblis par les offensives israéliennes. Cette érosion de l'influence régionale iranienne coïncide avec l'émergence d'un nouveau pôle de pouvoir centré sur la Turquie et ses alliés sunnites, reléguant l'Iran dans une position défensive.
Les frappes israéliennes du 13 juin 2025 contre les installations nucléaires iraniennes marquent un tournant dans cette confrontation. L'opération "Lion rugissant" a non seulement endommagé les capacités nucléaires iraniennes mais également éliminé plusieurs commandants de haut rang du CGRI, fragilisant l'architecture sécuritaire du régime.
Paradoxalement, les alliés traditionnels de l'Iran, la Chine et la Russie, ont adopté une posture prudente lors de cette escalade. Pékin et Moscou, bien qu'unis avec Téhéran dans une opposition commune aux États-Unis, privilégient leurs intérêts économiques et géopolitiques propres plutôt qu'un soutien inconditionnel au régime iranien. Cette réserve de ses partenaires révèle l'isolement croissant de l'Iran sur la scène internationale.
Les facteurs de résilience du régime
Malgré cette accumulation de crises, le régime iranien dispose encore de ressources considérables pour assurer sa survie. L'architecture institutionnelle de la République islamique, conçue pour résister aux chocs externes et internes, repose sur un système de redondance et de contrôle multi-niveaux. Le CGRI, en particulier, contrôle non seulement l'appareil sécuritaire mais également une grande partie de l'économie iranienne, créant une symbiose d'intérêts entre élites militaires et économiques.
La répression systématique des mouvements contestataires démontre la détermination du régime à maintenir l'ordre par la force. Plus de 700 personnes ont été arrêtées dans les douze jours suivant le conflit avec Israël, témoignant de la capacité de mobilisation de l'appareil répressif. Les exécutions se multiplient, avec six condamnations à mort pour espionnage prononcées depuis le début du conflit.
L'expérience historique plaide également en faveur de la résilience du régime. Depuis 1979, la République islamique a survécu à la guerre Iran-Irak, aux sanctions internationales, aux mouvements de protestation de 2009 et 2019, démontrant une capacité d'adaptation remarquable. Les experts soulignent que la population iranienne, bien que mécontente, n'a pas encore atteint le seuil de désespoir nécessaire à un soulèvement généralisé, contrairement au régime qui reste prêt à tuer pour se maintenir.
- Understanding War – Iran Update July 2, 2025
- Age of Revolutions – Is a Revolution in Iran on the Horizon?
- DW – Iran’s middle class bears brunt of economic crisis
- Wikipedia – Iranian economic crisis
- Al Arabiya – Iran’s turbulent 2025: nuclear tensions, economic struggles, rising regional risks
- WNCRI – Employment crisis: jobless rate women 35%