
Les relations entre l’Iran et la Russie apparaissent comme à la fois complexes et fascinantes, profondément enracinées dans un passé jalonné de rivalités et de renversements d’alliances.
À première vue, l’idée d’une coopération entre ces deux puissances peut paraître improbable, tant leurs antagonismes historiques et leurs divergences culturelles semblent irréductibles. Néanmoins, depuis le début du XXᵉ siècle, et plus particulièrement après l’effondrement de l’URSS, l’Iran et la Russie ont progressivement identifié des intérêts communs. Ces points de convergence se sont accentués au cours de ces dernières années, l’Iran et la Russie collaborant sur plusieurs dossiers stratégiques, notamment en matière de sécurité régionale et de ressources énergétiques.
Cependant, ce partenariat demeure essentiellement pragmatique : chacun poursuit des objectifs géopolitiques propres, et si l’entente avec un État aux pratiques et aux mœurs distinctes de celles de la Russie apparaît parfois nécessaire, elle reste avant tout dictée par la convergence circonstancielle de leurs intérêts respectifs. C’est par ailleurs tout l’attrait du pragmatisme, qui consiste à rechercher des solutions pratiques qui même si elles ne sont pas parfaites sur le plan idéologique ou théorique, elles parviennent à un résultat souhaité.
Des rapports russo-iraniens fluctuants à travers les siècles
Les relations entre l’Iran et la Russie, anciennement le Tsarat de Moscou sous Ivan IV le Terrible (1547-1721), se dessinent dès l’époque de la dynastie séfévide, autour de 1592. L’Empire séfévide (1501-1736), acteur majeur de l’histoire iranienne moderne, contrôle alors un territoire stratégique : le Caucase, zone tampon convoitée par plusieurs puissances. Située à l’intersection de l’Empire ottoman, de l’Empire séfévide et du Tsarat de Moscou, cette région attire les convoitises pour ses enjeux géopolitiques et commerciaux. Malgré des divergences culturelles et économiques, une coopération pragmatique se développe entre Moscou et Ispahan (anciennement capitale de l’Empire perse), motivée par leur méfiance commune à l’égard de l’Empire ottoman.
Cette relation relativement stable se fragilise avec la chute de l’Empire séfévide en 1736, après l’abdication du sultan Hossein. Le vide politique qui en découle permet aux puissances voisines, notamment la Russie impériale (proclamée par Pierre Ier en 1721), d’étendre leur influence sur la Perse. Cette situation conduit à la première guerre russo-persane sous la dynastie Qadjar, mise à terme par le traité de Golestan en 1813, avant une reprise des hostilités en 1826, encouragée par les manœuvres britanniques, également hostiles à la montée en puissance russe. La défaite de la dynastie Qadjar scelle la domination russe sur le Caucase et marque un tournant dans les relations russo-iraniennes, désormais caractérisées par la méfiance et un déséquilibre de pouvoir.
Cependant, à partir de la fin du XIXᵉ siècle et du début du XXᵉ siècle, face à la montée des puissances occidentales, les deux États adoptent progressivement une coopération pragmatique, s’alliant par intérêt stratégique malgré leurs différences culturelles.
L’émergence d’intérêts communs à l’aune des enjeux contemporains
Ce pragmatisme trouve son sens après la chute de l’URSS en 1991. La Russie, en tant que successeur de l’URSS mais dépourvue de son idéologie, cherche à nouer de nouveaux partenariats stratégiques pour redorer son image. Parallèlement à cela l’Iran, affaibli par la guerre contre l’Irak (1980-1988), cherche à restaurer son influence régionale. Dans ce contexte, les deux pays renouent une relation basée sur des intérêts communs, plutôt que sur l’affrontement.
Autrefois partenaires, l’Iran et la Russie ont tenté de rétablir des rapports de coopération afin de poursuivre des objectifs partagés, malgré des divergences persistantes. Aujourd’hui, ce pragmatisme se manifeste particulièrement face à la pression occidentale, et plus spécifiquement celle de l’OTAN, dans la perspective de préserver leurs intérêts régionaux et d’accroître leur poids sur la scène internationale.
Néanmoins, certains points de désaccord subsistent et peuvent fragiliser leurs rapports. La Russie privilégie avant tout une influence militaire, comme en témoigne l’installation de sa flotte à la base de Tartous en 2014, ou encore celle de sa base aérienne russe à Hmeimim en 2015, sous le gouvernement de Bachar Al-Assad, que les deux pays soutenaient fermement. L’Iran, quant à lui, cherche à étendre son influence principalement sur le plan religieux et idéologique. Ces divergences se reflètent également dans leurs stratégies régionales : la Russie entretient des rapports de coopération avec la Turquie, alors plus ou moins opposant de l’Iran, et cherche parfois à modérer les initiatives iraniennes vis-à-vis d’Ankara (notamment par rapport aux Kurdes), ce qui génère des frictions. Ainsi, malgré un pragmatisme historique, les intérêts divergents en matière militaire, religieuse et régionale demeurent un facteur de tension dans leurs relations contemporaines.
Une relation à géométrie variable menacée ?

Le 17 janvier 2025, en plein cœur du conflit opposant la Russie à l’Ukraine, le président Vladimir Poutine et le président iranien Masoud Pezeshkian signent le Traité bilatéral de partenariat stratégique global, marquant ostensiblement un renforcement des liens entre leurs deux pays. Cependant, cette apparente consolidation masque une réalité plus nuancée : les relations entre Moscou et Téhéran demeurent davantage marquées par la réticence que par un véritable élan de coopération. Si, après l’effondrement du régime soviétique, la Russie avait besoin du soutien iranien, cette dépendance n’est plus d’actualité. Ce pacte semble répondre davantage aux intérêts de l’Iran, désireux de se prémunir contre les sanctions américaines, tandis que la Russie y trouve surtout l’occasion de défier les États-Unis en formalisant un lien avec Téhéran.
Néanmoins, depuis plusieurs années, les rapports russo-iraniens semblent s’orienter au profit de la Russie, reléguant au second plan les intérêts de l’Iran, notamment en matière d’armement et de soutien militaire. Cette fragilisation des liens est particulièrement visible après l’effondrement du gouvernement syrien de Bachar Al Assad, qui prive Moscou de la possibilité de maintenir son influence dans la région avec l’appui iranien. Il apparaît donc que les relations entre la Russie et l’Iran ont toujours été fluctuantes, conditionnées par la convergence de leurs intérêts.
Dès lors que ces intérêts communs s’estompent, la coopération s’affaiblit et les divergences reprennent le dessus, révélant la nature pragmatique et variable de leurs rapports.
Sources
- Les relations Iran-Russie et l'évolution géopolitique du Caucase (1521-1722 après J.-C.) - Javad Morshadlou ; Albert K. Dudayti
- Wikipédia - Relations entre l'Iran et la Russie
- Le Monde - Pourquoi la Russie et l’Iran ont signé un nouveau partenariat « stratégique »
- Euronews - La Russie et l'Iran renforcent leur alliance avec un nouveau pacte stratégique
- Les enjeux du partenariat stratégique Iran-Russie - Jonathan Piron