
Le compte à rebours est engagé autour d’un mécanisme dont l’architecture est à la fois simple et implacable, la réactivation automatique des sanctions onusiennes contre l’Iran, dite "Snapback" en anglais, a été déclenchée par Londres, Paris et Berlin le 28/08, ouvrant une fenêtre de trente jours au terme de laquelle les anciennes mesures du Conseil de sécurité peuvent renaître si rien n’est fait pour les empêcher, côté européen l’argument est clair, Téhéran a accumulé des écarts par rapport aux limites fixées en 2015 et il faut recréer un levier, côté iranien la riposte verbale a été immédiate, dénonçant une action illégale qui saperait la diplomatie, le décor est donc planté pour un mois serré, où technique juridique et calcul politique se mêlent étroitement.
Comprendre ce mécanisme suppose de revenir à la résolution 2231 du Conseil de sécurité qui a endossé l’accord de 2015 et prévu une clé de retour en arrière en cas de manquement significatif, concrètement un participant notifie au Conseil qu’il existe un défaut, s’ouvre alors une période de trente jours, à l’issue de laquelle les anciennes résolutions redeviennent effectives sauf si le Conseil adopte une nouvelle décision maintenant la levée, ce détail change tout, car une telle décision serait exposée à un veto, donc en pratique l’échec de toute résolution prolongeant l’allégement aboutit à la réactivation automatique, d’où la formule souvent employée de procédure à l’épreuve du veto, même lorsque Moscou ou Pékin s’y opposent politiquement, la mécanique onusienne produit son effet, ce double ancrage dans le texte de l’accord et dans la résolution rend la marche arrière juridiquement robuste et politiquement lourde.
Le calendrier est désormais resserré, la notification du vingt huit août enclenche une horloge qui court jusqu’à la fin septembre, sauf compromis enregistré formellement par le Conseil, la séquence est d’autant plus tendue que la faculté de déclencher cette procédure elle même arrive à expiration mi octobre, ce qui explique la décision des Européens d’agir avant ce cap, car après cette date un retour de sanctions exigerait une nouvelle négociation exposée aux jeux de veto, tout ce mois de septembre devient donc une chambre d’écho où s’enchaînent consultations à huis clos à New York et échanges de projets de texte, avec la perspective très concrète d’un rétablissement automatique si rien n’est conclu dans les temps.
Dans l’immédiat les Européens disent viser un espace de négociation, ils avaient mis sur la table un report conditionnel de plusieurs mois si l’Iran rouvrait l’accès de l’Agence internationale de l’énergie atomique, éclaircissait le statut de son stock à soixante pour cent et acceptait des échanges directs avec Washington, Téhéran a jugé ces conditions irréalistes et a demandé au contraire une prolongation du dispositif onusien sans contrepartie, pendant que la Russie et la Chine circulaient un projet de prolongation technique de six mois, ce jeu de textes illustre une bataille d’horloges où chaque camp cherche à figer le cadre le plus favorable, tout en évitant une rupture ouverte qui le placerait en posture de blocage.
Les réactions de Moscou et Pékin ont été nettes, les deux capitales ont publié avec Téhéran une position rejetant l’initiative européenne sur le plan juridique et politique, sans pour autant disposer du levier procédural pour l’empêcher, leur stratégie consiste plutôt à contester la légitimité de la notification et à promouvoir un texte de prolongation, au sein du Conseil le débat se déplace ainsi du terrain de la conformité vers celui de l’opportunité, ce qui ne change pas l’arithmétique stricte du mécanisme, mais nourrit une polarisation accrue au moment où la présidence tournante du Conseil évolue.

Côté iranien, la boîte à outils de riposte est variée et va du symbolique au structurel, menaces de restreindre encore la coopération avec l’Agence, annonces sur la poursuite de l’enrichissement à des niveaux élevés, et surtout brandissement d’une option nucléaire au sens politique, la sortie du Traité de non prolifération, ce scénario n’est pas privilégié par tous les centres de pouvoir à Téhéran, mais il a été mis à l’agenda parlementaire à la fin août, comme une manière d’augmenter la pression pendant le compte à rebours, dans le même temps la diplomatie iranienne laisse ouverte, par déclarations et canaux discrets, la possibilité d’un compromis qui sauverait la face de chacun, signe que l’exécutif mesure le coût d’un isolement onusien formalisé.
Si l’on se projette au lendemain d’une réactivation automatique, que recouvrent les sanctions qui reviendraient en vigueur, d’abord le retour des dispositions contenues dans les résolutions antérieures à 2015, contrôle des transferts sensibles, limitations sur les activités balistiques, restrictions ciblant personnes et entités, encadrement des transactions qui peuvent contribuer à la prolifération, ensuite un signal juridique qui irrigue le monde de la conformité, banques assureurs sociétés d’inspection et armateurs recalibrent leur appétit pour le risque dès que reparaît un cadre onusien clair, enfin une résonance politique qui sert de levier pour des mesures nationales ou régionales plus sévères, même si l’essentiel de l’étau économique récent vient surtout de sanctions américaines et européennes hors ONU, la couche onusienne rehausse le niveau de prudence des acteurs globaux.
Les effets économiques se lisent par cercles concentriques, sur le pétrole d’abord, la Chine est restée ces dernières années un débouché majeur pour le brut iranien, mais une réactivation onusienne accroît le risque juridique pour la chaîne maritime et l’assurance, ce qui renchérit les flux et en réduit la fluidité, sur le financement ensuite, les banques européennes et asiatiques qui avaient rouvert des guichets prudents se replient quand la grammaire des résolutions redevient applicable, sur l’industrie enfin, l’accès à des équipements et composants sensibles se referme davantage, les autorités iraniennes promettent qu’elles contourneront ces obstacles et qu’elles diversifieront partenaires et circuits, toutefois l’expérience des précédentes vagues de sanctions montre que les coûts de transaction montent, que le rial se déprécie, et que les entreprises privées retardent ou annulent des investissements faute de visibilité, dans une économie déjà éprouvée par l’inflation et par des secousses politiques, chaque tour de vis réglementaire se traduit par de la friction supplémentaire.
Il faut cependant relativiser deux idées reçues, la première consiste à croire que la réactivation onusienne à elle seule reconstituera le régime maximaliste de pression du début des années deux mille dix, ce n’est pas exact, car le choc macroéconomique de l’époque était surtout lié à des sanctions extraterritoriales américaines et à des paquets européens très étendus, la couche onusienne agit comme socle commun et comme signal, mais l’ampleur du choc dépendra de l’empilement des dispositifs nationaux et de la manière dont les grands importateurs appliqueront ou contourneront les lignes rouges, la seconde idée reçue serait de penser que Moscou et Pékin pourront neutraliser les effets de New York par simple déclaration politique, la mécanique onusienne crée des risques juridiques pour des acteurs privés qui n’obéissent pas toujours aux injonctions souveraines, même si des filières parallèles prospèrent, entre ces deux extrêmes se dessine une réalité plus nuancée, faite d’ajustements de prix, de redirections de flux, et d’une prime de risque accrue sur toute opération impliquant l’Iran.
Sur le plan diplomatique la pièce se joue sur plusieurs scènes, à New York où les Européens veulent conserver la main jusqu’à mi octobre, à Vienne où l’Agence pousse pour regagner une présence substantielle sur le terrain et mappper à nouveau le programme iranien, à Téhéran où la rivalité entre faucons et partisans d’un atterrissage contrôlé s’exacerbe au fil des annonces, et à Pékin comme à Moscou où l’on arbitre entre soutien politique à l’Iran et souci de ne pas s’exposer au risque de contentieux avec des opérateurs financiers et maritimes, la chance d’un compromis existe, principalement sous la forme d’un report encadré avec des gestes vérifiables côté iranien, mais elle se réduit à mesure que l’horloge tourne dans un contexte régional déjà inflammable.
Point final, si l’on devait donner une image à cette séquence, ce serait celle d’un sablier posé au centre d’une table autour de laquelle chacun tente de souffler pour arrêter le sable sans renverser le verre, les Européens misent sur la pression du temps pour arracher des garanties, l’Iran joue l’ambiguïté pour éviter le saut dans l’inconnu que représenterait un retrait du Traité de non prolifération, la Russie et la Chine cultivent l’entre deux qui leur offre levier et récit, la procédure onusienne poursuit sa course avec l’indifférence muette des textes, en diplomatie le temps n’est jamais neutre, il use les postures et révèle les priorités, et dans le sillage de cette horloge de trente jours ce sont des trajectoires économiques et stratégiques qui se dessinent, comme ces lignes à peine visibles que la mer trace sur le sable avant la marée suivante.
Sources
- AP News – European nations start ‘snapback’ of Iran sanctions
- Reuters – Europeans launch UN sanctions process against Iran, drawing Tehran ire
- Security Council Report – What’s In Blue, Iran, Closed Consultations on the Invocation of the “Snapback” Mechanism
- Just Security – What You Need to Know About Iran Sanctions Snap Back at the UN, A Q&A with Kelsey Davenport
- Reuters – UK, France and Germany urge Iran to agree deal to delay UN sanctions
- Institute for the Study of War – Iran Update, August 29, 2025
- Reuters – Oil minister says Iran will bypass curbs on oil sales despite ‘snapback’